« Il était une fois un homme qui avait de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderies, et des carrosses tout dorés. Mais, par malheur, cet homme avait la barbe bleue : cela le rendait si laid et si terrible, qu’il n’était personne qui ne s’enfuît de devant lui.
Une de ses voisines, dame de qualité, avait deux filles. Il lui demanda l’une ou l’autre de ses filles en mariage. Elles n’en voulaient point toutes deux, ne pouvant se résoudre à prendre un homme qui eût la barbe bleue. Ce qui les dégoûtait encore, c’est qu’il avait déjà épousé plusieurs femmes, et qu’on ne savait ce que ces femmes étaient devenues.
La Barbe-Bleue, pour faire connaissance, les mena avec leur mère et trois de leurs meilleures amies à une de ses maisons de campagne, où on demeura huit jours entiers. Ce n’étaient que promenades, que parties de chasse et de pêche, que danses et festins, que collations : enfin tout alla si bien que la cadette commença à trouver que le maître du logis n’avait plus la barbe si bleue et que c’était un fort honnête homme. Dès qu’on fut de retour à la ville, le mariage se conclut » (…) Extrait de La Barbe-Bleue, de Charles Perrault

Osez-vous voir la vérité en face ? Voilà une des questions que nous pose ce conte. La malveillance de cet homme se voit comme une barbe bleue au milieu du visage ! Tout le monde la reconnaît et s’enfuit devant cet être inquiétant dont on ne sait pas trop ce qu’il a fait de ses précédentes femmes…
Quelle bonne intuition ! Mieux vaut l’écouter pendant qu’il en est encore temps, car oui, cet homme n’est rien d’autre qu’un assassin !

Mais… une jeune femme, qui pourtant dans son premier élan a vu le danger que représentait cet homme à la barbe bleue, perd sa lucidité en à peine 8 jours ! Et devient ainsi la prochaine victime sur la liste…

Comment est-elle arrivée à gommer l’évidence ? A quel marché de dupes a-t-elle consenti ? Quel gain illusoire lui a fait perdre ses capacités intuitives ?
La jeune femme apprendra à ses dépens qu’il vaut mieux avoir le courage de regarder la vérité en face plutôt que de risquer d’avoir la tête tranchée…

Parce que c’est bien de risque de mort dont on parle, une mort physique, certes, mais surtout symbolique : la perte de soi. Et la perte de soi n’est-elle pas ce qui pourrait nous arriver de pire ?

Et nous ? Quand avons-nous refusé de voir la barbe bleue de telle personne ou de telle situation, alors que quelque chose en nous l’avait bien identifiée… Quand avons-nous cédé à nos désirs illusoires au détriment de toute sagesse ? Quand avons-nous préféré le déni plutôt que la réalité, croyant à tort nous protéger ou obtenir une vie meilleure ?

Si vous vous reconnaissez un peu dans la jeune femme de ce conte, c’est une très bonne chose, cela veut dire que la prochaine fois que vous croiserez une barbe bleue, vous prendrez vos jambes à votre cou !